Ps : je n'arrive pas à comprendre la désinvolture avec laquelle les opposants à Joissains traitent cette affaire.
Un fonctionnaire dénonce des irrégularités électorales depuis 2007
Dimanche 19 juillet, 88.893 Aixois sont appelés à choisir un nouveau maire. En lice au second tour, la liste UMP de Maryse Joissains-Masini, députée et maire d’Aix-en-Provence arrivée en tête au premier tour (43% des suffrages). Face à elle se trouve une alliance de circonstance entre le PS, le Modem et les Verts, menée par le socialiste Alexandre Medvedowsky.
Le Conseil d’Etat a invalidé les dernières municipales à cause d’un tract anonyme injurieux qualifiant les adversaires centristes de Maryse Joissains d’homosexuels, d’alcooliques voire de pédophiles. Les juges du conseil d’Etat n’ont également pas apprécié les propos tenus par Maryse Joissains dans une interview au Nouvel Observateur du 28 février 2008, «mettant clairement en cause la vie privée» de François-Xavier de Peretti, leader du Modem, et de ses colistiers.
88.893 inscrits sur les listes et «combien de faux électeurs ?», demande Raymond Chaoul, 47 ans, employé municipal de la ville d’Aix (142.600 habitants). Ancien agent au service des élections, ce trouble-fête a été mis au placard, muté puis sanctionné après avoir osé former un recours auprès du Conseil constitutionnel pour dénoncer des irrégularités dans la tenue des listes électorales des législatives de juin 2007. Il attaque : «Si le Conseil d’Etat avait poussé à fond toutes les pièces du dossier, Maryse Joissains aurait été inéligible.»
De fait, le conseil d’Etat semble s’être arrêté au recours déposé par Stéphane Salord, ex-adjoint de Maryse Joissains, qui fait désormais cavalier seul, estimant ses arguments suffisants pour faire annuler les élections. Mais s’il avait poussé plus loin, il serait tombé sur de curieux chiffres remontant aux élections législatives de juin 2007.
Tous les trois ans environ, l'intégralité des cartes d’électeurs sont renvoyées aux citoyens. En mars 2007, 13.000 cartes reviennent en mairie d’Aix faute d’avoir trouvé preneur à l’adresse indiquée. Le pourcentage est surprenant : 13.000 électeurs évanouis dans la nature sur 90.000 cartes envoyées. «Normal, estime Raymond Chaoul. Depuis 2004, nous n’entretenions plus les listes à partir des cartes retournées, donc ça s’est accumulé.»
Quant aux électeurs décédés entre la présidentielle et les législatives, ils n’ont pas été radiés des listes, officiellement du fait d’un problème informatique entre l’état civil et le service des élections. Simple négligence sans conséquence ? Pas vraiment, puisque pour se maintenir au second tour d’une élection législative, un candidat doit réunir au moins 12,5% des inscrits. «En ne radiant plus les gens qui ont quitté la commune, ni les décès, on grossit le chiffre d’inscrits, avance Raymond Chaoul. Et on limite le risque d’une triangulaire avec le Modem – lequel fit 9% des inscrits, NDLR – qui aurait pu être fatale à Maryse Joissains.»
Au lendemain des législatives, Raymond Chaoul compulse les procès-verbaux des bureaux de vote et constate que 7.000 de ces 13.000 électeurs «n’habitant pas à l’adresse indiquée» ont tout de même récupéré leur carte sans avoir prouvé leur rattachement à la commune. Une pièce d’identité a suffi. Le nombre n’est pas anodin puisque l’écart entre Maryse Joissains et son adversaire du second tour, Alexandre Medvedowsky, n’était que de 5.600 voix. Le fonctionnaire évoque aussi des proches de Maryse Joissains habitant d'autres communes rattachées de façon irrégulière à des bureaux d'Aix grâce à des certificats d'hébergement.
Des radiations sélectives ?
Aucune enquête n’a eu lieu non plus à propos des 13.000 enveloppes de propagande contenant les professions de foi des candidats à la présidentielle et aux législatives retournées par la poste, là encore faute d’avoir trouvé acquéreur. «Elles ont été détruites sur ordre du chef de service, Michel Degrange», affirme Raymond Chaoul.
L’intéressé confirme. «Les enveloppes de propagande faisaient double emploi car nous préférons travailler à partir des retours de cartes d’électeurs. D’ailleurs le chiffre de 13.000 retours n’a rien d’exceptionnel, nous avons toutes les années de refonte un chiffre pareil.»
Il incrimine une distribution postale «horrible» et le choix d’une «politique de radiation non agressive». «Nous ne voulons pas priver des gens de leur droit de vote simplement à cause d’un retour de courrier, cela mènerait à des contentieux», explique-t-il. Ce alors que la commission administrative des listes électorales est censée, comme le rappelle une circulaire du ministère de l'intérieur de décembre 2007, procéder «à l'examen systématique des cas des électeurs dont la carte électorale a été retournée» et «des cas où les enveloppes de propagande n'ont pu être distribuées à l'électeur».
En 2001, alors que Maryse Joissains venait de conquérir la mairie aixoise, la même commission avait montré beaucoup moins de scrupules à l’égard des électeurs de deux quartiers populaires, le Jas-de-Bouffan et la Pinette. «Une élue, Charlotte Benon avait pointé les noms sur les listes de ces quartiers et nous avait demandé de leur envoyer des lettres recommandées et de les radier s’ils ne justifiaient pas qu’ils habitaient bien à l’adresse indiquée», raconte Raymond Chaoul.
Sur la fraction de cette liste de radiation qu’il s’est procurée, la plupart des noms sont d’origine maghrébine ou étrangère. «Certains habitants se sont aperçus qu’ils étaient radiés au moment où ils sont venus voter aux législatives de 2002, se souvient André Guinde, conseiller général socialiste d'Aix-ouest. Ces radiations concernaient essentiellement les quartiers du Jas-de-Bouffan, qui ne sont pas les meilleurs bureaux de Mme Joissains. Le hasard a bien fait les choses... »
«Personne ne veut faire les vérifications nécessaires»
Depuis Raymond Chaoul se heurte à un mur. Aucune des procédures engagées - auprès du Conseil constitutionnel, de la préfecture, du tribunal administratif, de la Halde, du président de la République, du tribunal de grande instance, de la délégation spéciale - n’a abouti. Le Conseil constitutionnel a rejeté en novembre 2007 sa requête. Sans contester les irrégularités, les sages ont estimé que l’employé municipal ne prouvait pas qu’elles résultaient de manœuvres volontaires de la part du maire.
Quant à la délégation spéciale, mise en garde par la présidente de la section aixoise de la Ligue des droits de l'homme (LDH), elle l’a envoyé inspecter ailleurs. «Il apparaît que les listes ont été gérées normalement au fil des années», tranche dans un courrier au ton expéditif, Fernand Lieure, un des membres de la délégation spéciale. Contacté à ce propos, son secrétariat renvoie au service des élections, déclarant que les sept membres de la délégation «vont à l’essentiel et ont autre chose à faire».
«On est en présence de dénonciations très crédibles et facilement vérifiables, s’indigne André Koulberg, de la LDH aixoise. Et aucune des institutions qui auraient pu et dû enquêter au fond, vérifier par exemple que ces enveloppes de propagande ont été détruites alors qu’elles sont censées être conservées, ne s’est donné cette peine. Même la délégation spéciale dont la principale mission est tout de même d’organiser les élections.»
L’opposition ne se mouille pas non plus. Interrogé par Plus belle la ville, un blog citoyen créé à l'occasion des municipales, Alexandre Medvedowsky, tête de liste PS, s’effarouche : «C’est des dossiers épais, des choses à étayer : en tant que simple citoyen, je n’ai pas les moyens d’aller vérifier s’il a tort ou raison.» Lucien-Alexandre Castronovo, conseiller municipal d’opposition (PRG) jusqu’en 2008, se souvient qu’il lui avait fallu près de trois ans et demi pour réussir à faire annuler en octobre 2008 par le tribunal administratif le contrat de directeur de cabinet d'Alain Joissains — ancien maire d'Aix — auprès de Maryse Joissains, député-maire d'Aix, pour salaire excessif. «Ce sont des démarches de longue haleine qui ne paient pas forcément, note-t-il. Et les uns et les autres veulent s’installer à la mairie sans être trop regardants sur les arrière-cuisines.»
Dans un cul-de-sac administratif
Privé d’accès au serveur des élections et à sa messagerie professionnelle dès juillet 2007, Raymond Chaoul est mis en quarantaine puis affecté en décembre 2007 à l’école supérieure d’art sur un poste inexistant, sans bureau ni mission pendant quatre mois. Il était élu, sans étiquette, dans le village voisin de Saint Puy Réparade. En pleine campagne pour les municipales de 2008, le maire UMP sortant, Jean-Pierre Bertrand, annonce devant ses colistiers devoir le retirer de sa liste suite à un coup de fil de la mairie d’Aix. Contacté, celui-ci dit s’être retiré de la vie politique et en pas vouloir revenir sur cette histoire.
En juillet 2008, un conseil de discipline décide d’une exclusion de trois mois sans solde à partir du 15 décembre pour faute professionnelle et «préméditation» du recours au Conseil constitutionnel. Maryse Joissains est déçue, elle avait demandé un an d’exclusion pour cet «excité» qui a osé se servir «de documents internes à la mairie pour étayer ses thèses».
Les anciens collègues de Raymond Chaoul n’ont ni confirmé ni infirmé ses dires. «Nous avions demandé à un agent de témoigner au conseil de discipline, mais elle n’a pas voulu, clairement par peur pour sa carrière», raconte Alain Capus, représentant syndical FSU des agents municipaux.
Après un an d’arrêt maladie et de dépression «causée par le harcèlement moral subi», Raymond Chaoul ne touche plus aujourd’hui qu’une demi-solde, soit 500 euros par mois. «On compte sur l’épuisement du citoyen isolé pour que l’oubli se fasse», estime Jean Julien-Laferrière de la LDH aixoise. Mais Raymond Chaoul ne lâche rien : «Si depuis deux ans j’étais effectivement fou ou vraiment diffamatoire, pourquoi un avocat aussi performant que Maryse Joissains n’a fait aucune démarche contre moi ?»