Le 16 juillet, de nombreux militants écologistes se réuniront, sous la Tour Effeil, pour demander la suppression du grand prix de France de Formule 1. Cette manifestation entend dénoncer un symbole du gaspillage énergétique. Elle est salutaire, à un moment où la crise énergétique devrait être au coeur des réflexions politiques pour la présidentielle 2007. Mais, plus qu'une simple alerte sur l'épuisement des ressources pétrolières, cette manifestation pose un problème profond à la famille écologiste : celui de la décroissance. Car plus qu'une interrogation sur la seule question énergétique, c'est une discussion métaphysique qu'ouvre la décroissance au sein du mouvement altermondialiste et écologiste. Par la critique du développement et du développement durable, les décroissants interrogent le modèle culturel et social de nos sociétés contemporaines. Ainsi, le refus du développement durable, au nom de l'occidentalisation et de l'industrialisation du monde est un moyen de remettre en cause nos systèmes de valeurs modernes.
C'est sous la plume de Serge Latouche, grand promoteur de l'idée de décroissance, que l'on retrouve une critique de la scolarisation généralisée et de ses effets dépersonnalisant et uniformisant, créateurs de la "société de croissance". Latouche renoue avec une vieille critique métaphysique de la modernité et de la croissance initiée par Ivan Illich, Bernard Charbonneau et Jacques Ellul dans les années 60. Prenons quelques exemples de cette thèse dans la nébuleuse décroissante. Chez Teddy Goldsmith, chantre de l'après développement et auteur du best seller Le Tao de l’écologie, " l’écologie est une foi" et elle doit refléter les valeurs de la biosphère, car le « psychisme de l’homme est mal adapté au paradigme scientifique et économique ». La décroissance est le moyen de se replonger dans le flux vital de l’ordre cosmique, de retrouver le sein de la Terre Mère pour Pierre Rabhi, grand thuriféraire du concept de décroissance. Il prône un "retour à la Terre Mère ", afin de retrouver le « Grand Ordonnateur », car l’écologie est un retour spirituel à la terre, un " recours à la terre ", une nouvelle "alliance cosmique". Cette vision est partagée par des auteurs comme Jacques Grinevald et Hervé René Martin. De même, François de Ravignan, dans le livre manifeste des décroissants Objectif décroissance, affirme, « dans la vie spirituelle, l'Esprit engage sur un chemin de vérité. Et s'il y a, comme je le pense, une vérité dans l'option de la décroissance, elle doit pouvoir trouver une expression spirituelle.». Vincent Cheynet, fondateur de Casseurs de pub qui publie le journal La Décroissance, et organise la manifestation contre le grand prix de Formule 1, depuis 5 ans, s'inscrit dans la même logique. Dans son interview à la feue revue L’immondialisation, il indique que : « la spiritualité ne s’exprime pas forcément dans un cadre religieux. Mais à mon avis le politique ne se suffit pas à lui-même. L’homme a besoin d’être ramené à sa dimension consciente, ce qui ne peut être le rôle du seul politique. »
Le constat partagé par nombre de décroissants est sans appel, si le monde va mal, le coupable est le manque de "sens", de "spiritualité" et de "développement personnel". Ce manque d'essence ou d'ontologie, cette perte de sens sont engendrés par un monde trop uniformisé, rationalisé et objectivé par le développement. La désacralisation du monde et l'arraisonnement de la nature par la tecnhique ont ouvert la porte au culte du progrès et de la croissance qui détruit la nature, alors que les sagesses anciennes avaient su préserver l'environnement en soutenant un rapport apaisé au monde. La réponse à cette crise du monde moderne se trouve dans la frugalité, dont on trouve l'exemple chez des figures spirituelles comme Saint François d’Assise, David Thoreau ou Gandhi, membres du panthéon décroissant. Ces figures, régulièrement citées par les revues décroissantes, Silence, L'Ecologiste ou La Décroissance, sont sensées avoir retrouvé le sens de la nature et de l'existence humaine par la simplicité et l'ascétisme.
La lutte pour la décroissance qui valorise les conversions individuelles contre les méfaits du monde moderne pose alors problème. Il est clair que la propagation du concept de décroissance traduit une crise de la pensée alternative et une forte spiritualisation de l'écologie. Elle correspond à un remplacement d’une critique "sociale" du capitalisme par une critique " inspirée" ce qui engage les écologistes sur des pistes tout aussi dangereuses... que celles du grand prix de Formule 1.