Alors levons quelques malentendus...(si on peut appeler ça comme ça). Comme je l'ai écrit dans mon bouquin (promis juré) je pense que Ariès et Cheynet sont les decroissants les plus fréquentables et sérieux. (Même si leur pratique du dialogue au basouka ne facilite pas l'affaire). Et même si je ne partage pas certaines de leurs positions...qui ont beaucoup changé. Car effectivement il y a eu beaucoup de reculades ..ou d'avancées....ça dépend du point de vue. Et le prétentieux que je suis va même jusqu'à considérer qu'il y est pour quelques choses avec J M Harribey. Faisons donc la liste (rapide ) des points d'accords et de désaccords.
Les avancées notables. Ariès et Cheynet ont rompu avec le discours relativiste et messianique de Latouche. Ils ont aussi accentué la politisation de la décroissance et arrété la culpabilisation individuelle (finis les dessins où l'on nous demandait de coller notre photo individuelle sur le banc des accusés de crime contre l'humanité), Ils ont arrété les références récurrentes aux mouvements spirituels (finis les interviews de Tariq Ramadan). Les figures de Gandhi, Lanza Del Vasto, St François etc ont disparu de leurs publications. Une relative distance a été mise avec le gourou Pierre Rabhi. Ils ont ensuite critiqué le malthusianisme de nombreux décroissants (et par exemple critiqué la position délirante de Cochet) et dénoncé beaucoup de mauvais trips autour de la décroissance (survivalistes, extrême droite). Ils ont aussi critiqué les discours sur la crise comme solution rédemptrice. Et dans le dernier numéro de la décroissance on trouvait même un article vantant le caractère potentiellement non capitaliste de la monnaie qui servait pour la sécurité sociale. Le problème c'est qu'ils ne l'ont jamais assumé comme une rupture avec leurs fréquentations précédentes et collaborations de plume ou publications précédentes. L'effort est notable. Notons d'ailleurs que les autres décroissants "célèbres" n'ont pas fait ces avancées....
Il reste cependant de nombreuses divergences. Lesquelles ?
- La place de l'économie. Dans nombres d'ouvrages l'économie n'est pas vue comme une catégorie subissant des transformations historiques avec des modes de production différents selon les sociétés. (vision historique et anthroplogique estimant que toutes les société ont un système économique, un mode de production, consommation , redistribution et circulation des richesses). Pour beaucoup de décroissants il y aurait des sociétés sans économie..et l'économie serait du capitalisme...Latouche dans l'invention de l'économie a brillament défendu cette thèse (avec de jolies pages sur les moralistes contre révolutionnaires..dont il est en fait si proche) mais ça ne tient pas la route car il est obligé de détourner le sens du mot économie pour passer à l'économisme...Et cela occulte l'ensemble des autres organisations économiques non occidentales et précapitalistes.
- La confusion récurrente entre croissante et développement... Alors que le développement permet de parler de la modification des structures sociales et culturelles...
- La place des alternatives. Au nom de l'anti économisme ou de la dénonciantion des oxymores se sont toutes les alternatives crédibles qui sont théoriquement abandonnées, (mêm si ce qui a été chassé par la porte finit toujours par revenir en douce par les fenêtre)s commerce équitable, économie sociale, consommaction...etc. Ainsi Ariès dans NO Conso va même jusqu'à accuser le mouvement consumériste et l'économie sociale d'être le cheval de troie du capitalisme....
- La confusion entre le culte de la valeur travail et le travail comme source de valeur. Ainsi s'il faut évidemment que nos vies ne soient pas basées sur la recherche d'argent et notre activité professionnelle (le travail comme idéologie, le fameux metro boulot dodo) ...la création de richesse se fait non pas à partir de la rareté des biens naturels.. mais à partir du travail. ( valeur travail au sens réel du terme). En jettant le bébé avec l'eau du bain..les thèses décroissantes reviennent aux thèses les plus libérales (néoclassiques et pas classiques ) qui occultent l'activité humaine comme source de création des richesses.
-Le degré de division du travail acceptable. Mettant leurs pas dans ceux de Gorz, les decroissants en arrivent à refuser toute forme de spécialisation et de division du travail. Le modèle idéal est alors celui de l'artisan. Pour ma prt je pense que la division du travail vus les gains de prodictivité qu'elle permlet et pour partie à conserver dans la limite d'aménagements (voir l'uddévallisme) et que ce sont ces gains de productivité qui doiven têtre répartis pour financer une réduction massive du temps de travail. (Voir Harribey) Le temps dégagé permettrait de rendre largement supportable le travail répétitif de la division des teches. Je refuse donc de confondre productivité et productivisme. Le productivisme c'est produire pour produire, c'est à dire sans finalité sociale et non pas utiliser des méthodes permettant d'accroitre la productivité. (même si je partage l'idée qu'il existe des formes de contre-productivité)
- La théorie du revenu d'existence ou revenu universel. (apparue récemment dans les thèses décroissantes). Cette théorie qui estime qu'il faut découpler travail et rémunération (ce qui est envisageable) ne me parait pas crédible..car non finançable. Les quelques tentatives de le mathématiser passent par un transfert complet de tous les prélèvements sociaux (Sécu, chômage, retraite..), qui ont pour certains, d'autres usages que ne rempacera pas un revenu universel. Exemple l'assurance maladie. Elle pose quand même le problème de l'incitation à l'activité..et l'age auquel sera fournie cette préstation et attendue une contrepartie (de quelle nature ?)....Elle colle là aussi en fait assez bien avec certaines thèses libérales qui fixent un revenu "de base" très bas" moins de 300 euros remplaçant tous les mécanismes classiques de protection sociale. Rappelons l'acte de Spennhamland....
-La critique du salariat. Vu comme le vecteur de la société salariale et du fordisme, le salariat est attaqué au nom de l'autonomie. C'est effectivement une revendication fondatrice du mouvement ouvrier, abandonnée...puis reprise par Gorz et d'autres. Au moment où le gouvernment fait un tabac avec son statut d'autoentrepreneur (130 000 personnes) dans quelle mesure ce pseudo discours sur la disparition du salariat n'est elle pas une des faces de la déstruction des protections sociales et de la socialisation de la richesse. Je ne crois pas qu'il faille jeter le bébé avec l'eau du bain et les protections de salarit sont à conserver. (Ce que ne permet pas à mon avis le revenu d'existence)
- La confusion entre monétaire et marchand. Dans quelle mesure la valorisation de l'autoproduction, l'autoconsommation, l'échange hors de l'économie ne favorisent t'ils pas la disparition des formes classiques de redistribution de la richesse. Cela renvoit les individus aux familes ou communautés pour assurer ces solidarités. Ce qu'Ellul, Partant ou d'autres ont bien perçu et théorisé.
- Le fétichisme énergétique. Ainsi à de nombreuses reprises le coeur de la crise économique est expliqué par une rareté énergétique .(le musr de la nature). Alors qu'il s'agit d'une contradiction dans le mode d'accumulation de la valeur liée à la financiarisation. C'est une thèse paradoxalement libérale. On nous a déjà fait le coup avec le choc pétrolier de 73-74.
- Le culte du "sens des limites"...reprenant les écrits horribles de J P Lebrun psychologue lacanien (qui ferait passer Aldo Naouri pour un gauchiste) c'est le couplet sur la perte de sens, la perte des repères de la modernité (liée à la perte du pouvoir paternel et la désacralisation du monde ainsi que la disparition des institutions traditionnelles) , la désymbolisation du monde..thèse qui hélas repris par une partie de la gauche (Castoriadis, Illich) n'est qu'une euphémisation du discours décadentiste et réac. critique à peine déguisée de la modernité. Le tragique de notre existence ne peut pas être voilé pas des incantations à retrouver le sens des limites.
- La critique du matérialisme. Ainsi comme l'a montré la critique de Onfray par Ariès. Le matérialisme est souvent lié à l'idée d'une perte des limites et une disparition du dualisme nature culture..Le matérialisme aussi lié à l'hédonisme et au capitalisme. On retrouve là la réthorique de la pensée anti68 qui fait du mouvement de libération culturelle un cheval de Troie du capitalisme. Or ce libéralisme culturel qui a permis l'émergence du féminisme, des mouvements gays..est central. Malgré nos attaques répétées les decroissants n'ont toujours pas dit un mot sur la nécessaire reconnaissance d'égalité de ces groupes.. et de situations comme le mariage homo ou l'homoparentalité. Ce libéralisme culturel permis par le développement est passé à trappe...
Voilà un bref résumé de l'état du débat. Faut il le préciser, je considère que la croissance n'est pas l'alpha et l'oméga de la vie..et qu'il faut donc la critiquer (ça aussi je l'avais écrit dans mon bouquin) et la mettre à sa place.. c'est à dire comme indicateur du volume de biens et services (marchands et non marchands) créés par une société... Soit un indicateur parmi d'autres pour mener des politiques économiques. Point barre. Je suis aussi d'accord avec le fait que souvent le développement durable permet un greenwashing...le capitalisme étant capable de récupérer n'importe quel concept. (mais je ne pense pas qu'il faille du coup lui abandonner les idées de libéralisme culturel, amitié, liberté, amour..et maintenant développement durable)
Je considére aussi qu'il faut que nous fassions décroitre (réduisions) notre empreinte écologique. Mais à mon avis on n'a pas besoin pour cela de passer par une "société de décroissance" refusant le développement.